L'unification autoritaire du Japon

Toyotomi Hideyoshi, né en 1536, commence à mettre en place un processus d'unification après la mort de Nobunaga, en 1582. Lors de la guerre civile qui s'ensuit, il élimine ses rivaux. Mais en raison de ses origines sociales, il ne peut obtenir le titre de shôgun ; il réussit toutefois à se faire octroyer par l'empereur celui de kampaku ou régent en 1585. Il décide ensuite d'envahir la Corée, provoquant une guerre qui dure de 1592 à 1598, et qui l'amène à porter le titre de Taikô à partir de 1592.

Hideyoshi, comme Nobunaga, se méfient des puissants monastères bouddhistes. Ils ne semblent pas défavorables aux missionnaires européens ni même aux chrétiens japonais qui participeront aux opérations en Corée en la personne de généraux comme Konishi Yukinaga ou Kuroda Yoshitaka. Les Pères Organtino, Cespedes, Coelho, Frois sont reçus en audience par le régent. À Sakai, Konishi Yukinaga fait construire une église où sont donnés mille quatre cents baptêmes. En 1585, ce sont douze mille baptêmes qui sont administrés dans la seule seigneurie de Bungo, à Kyûshû. Mais l'île la plus occidentale du Japon est la proie de guerres civiles extrêmement âpres : le P. Coelho appelle Hideyoshi à l'aide et le régent envoie effectivement une armée de cent trente mille hommes, avec le général Kuroda Yoshitaka dont les vêtements et les bannières portent des croix.

À l'étonnement général, le régent victorieux promulgue un décret de bannissement des missionnaires le 25 juillet 1587, sous vingt jours. Cette décision semble avoir été influencée par le bonze Seiyakuin Hoin, qui aurait accusé les généraux chrétiens d'avoir détruit des autels shintô et des temples bouddhistes et les Portugais de se livrer au trafic d'esclaves. En tout cas, le P. Coelho est sommé de répondre à quatre questions : pourquoi chercher à convertir les gens ? pourquoi détruire les temples et les autels ? pourquoi manger des chevaux et des vaches ? est-il vrai que les Portugais emmènent des Japonais en esclavage ? En dépit de toute la diplomatie du P. Coelho, qui reconnaît d'ailleurs l'existence d'un trafic d'esclaves, l'édit est maintenu. Il semble que Hideyoshi ait eu peur du développement de l'influence politique des Européens par le biais des missionnaires et des généraux chrétiens.

De 1587 à 1598, les missionnaires sont bannis et doivent se regrouper à Hirado en attendant le départ des navires. Mais Hideyoshi accepte de fermer les yeux sur la présence de quelques religieux, qui portent un kimono ordinaire à la place de leur soutane et continuent à baptiser ou visiter les chrétientés. En 1590, Hideyoshi accepte de recevoir le visiteur Valignano au titre d'ambassadeur ; Valignano peut se déplacer librement au Japon et en 1596 l'évêque Martinez arrive à Nagasaki : il est reçu solennellement par Hideyoshi, dans son palais de Momoyama. Toutefois, à partir de cette date, les incidents se multiplient : mentionnons par exemple l'affaire du San Felipe. Ce galion espagnol, venu de Manille, s'échoue à la côte du Japon. Le seigneur local prétend avoir le « droit de prise », droit de piller l'épave, qui existe à la même époque en Europe. Le capitaine furieux réplique que son roi, Philippe II, est le plus puissant du monde et qu'il viendra sous peu soumettre le Japon : d'ailleurs il a déjà sur place ses meilleurs agents, les jésuites ! Il n'en faut pas plus pour éveiller les soupçons chez Hideyoshi et son entourage, qui se sentent confortés dans leurs idées sur les religieux. L'affaire entraîne l'exécution de chrétiens à Nagasaki. L'arrivée des franciscains espagnols entraîne également des perturbations. En principe, la mission du Japon est confiée aux seuls jésuites par le bref Ex pastoralis officio de Grégoire XIII (1585). Mais ceux-ci se trouvent désormais bannis : en 1593, les franciscains décident d'envoyer leurs missionnaires sur les navires espagnols à partir de Manille : les premiers arrivent en 1595. Les frères mineurs Pierre Baptiste et Jérôme de Jésus visitent les chrétientés dans le costume de leur ordre et sans prendre la moindre précaution. En réaction, les autorités arrêtent six d'entre eux, trois jésuites japonais et dix-sept chrétiens : après avoir été traînés à travers le Japon, les vingt-six chrétiens sont crucifiés sur la colline de Tateyama, près de Nagasaki, le 5 février 1597. Les « martyrs de Nagasaki » provoquent une violente émotion dans toute la chrétienté, et jusqu'en Europe. En mars 1597, un nouveau décret de Hideyoshi oblige tous les missionnaires à quitter le pays, exception faite de deux religieux pour les besoins spirituels des Portugais et de Rodrigue « Tçuzzu », un métis sino-japonais qui sert d'interprète. Mais, le 16 septembre 1598, la mort de Hideyoshi met provisoirement fin à la persécution.

L'imprimerie des jésuites

Sur le plan culturel, l'imprimerie de la mission joue alors un rôle essentiel. Alexandre Valignano s'était rendu compte dès 1584 que de nombreux Japonais savaient lire et écrire, et que le livre imprimé pouvait devenir un instrument irremplaçable de propagande religieuse. Il écrit alors à Rome pour qu'on lui envoie une presse à imprimer et des caractères adaptés à l'écriture katakana, de Flandre si Rome ou l'Espagne ne peuvent les fournir. Il reçoit tout cela, ainsi que des imprimeurs confirmés, qui apprennent leurs techniques à un frère et un catéchiste pendant plusieurs mois. Les premiers ouvrages publiés par les jésuites sont imprimés en caractères latins rômaji, et utilisent la première romanisation du japonais, élaborée dans les dernières années du XVIe siècle. Ce sont des livres de spiritualité : les Actes des Saints, 1591 ; le Symbole de la foi de Louis de Grenade, 1592 ; le Guide du pécheur de Louis de Grenade, en caractères chinois et hiragana, 1599 ; des méthodes de confession, arts de bien mourir, conseils pour le baptême in articulo mortis. Dans tous ces ouvrages, la terminologie chrétienne a fait l'objet d'une « translittération » qui prend modèle sur les expressions latines : Deusu Pâteru et Deus Hiiriyo correspondent à Deus Pater et Deus Filius, Paraiso et Inheruno sont Paradisus et Infernus, Bispo correspond à episcopus. Parfois, certaines notions correspondent pourtant à un équivalent japonais, comme le Démon, rendu par Tengu, esprit à long nez des légendes. Mais les jours de la semaine sont désormais calqués sur ceux du calendrier ecclésiastique. Dans le domaine artistique, les jésuites ont été les premiers à introduire la peinture à l'huile au Japon, ainsi que la technique des eaux-fortes. Parmi les peintres chrétiens les plus connus, Jacobo Niva, né en 1579 d'un père chinois et d'une mère japonaise, devient jésuite et se consacre à la peinture en Chine ; Leonardo Kimura, né à Nagasaki, meurt martyr en 1619. L'originalité fait toutefois défaut chez ces premiers spécialistes de la peinture chrétienne : ils se bornent souvent à copier des maîtres flamands dont les modèles sont achetés à Anvers, comme ceux de Jérôme et Antoine Wiericx : Saint François Xavier, la Madone de Séville, la pêche miraculeuse.

Les relations du shôgun Ieyasu avec les chrétiens et les Occidentaux

De 1598 à 1614, la situation politique continue à évoluer avec la fondation du shôgunat Tokugawa. Le successeur de Hideyoshi, en 1598, est un enfant de six ans, Hideyori ; parmi les régents qu'il avait choisis pour gouverner le pays pendant la minorité de son fils, Hideyoshi faisait spécialement confiance à Tokugawa Ieyasu. Or peu après la mort de Hideyoshi, Ieyasu commence à arranger des mariages politiques, ce qui lui vaut d'être accusé, non sans raison, de nourrir des ambitions personnelles. Au clan des Tokugawa s'oppose celui des Toyotomi ; Ieyasu élimine ses ennemis à la bataille de Sekigahara. Au cours de ces nouvelles guerres civiles, deux « héros chrétiens » perdent la vie : le général Konishi Yukinaga et Gracia Hosokawa, épouse de Hosokawa Tadaoki. Ieyasu décide de procéder à une nouvelle distribution des fiefs, et obtient de l'empereur, en 1603, le titre de shôgun. Le dernier Ashikaga à avoir détenu ce titre était mort en 1597. Peu après, en 1605, il résigne le titre en faveur de son fils Hidetada. Puis il transfère sa résidence à Yedo, l'actuelle Tokyo qui reçoit les organes du gouvernement : dans l'histoire du Japon, la Yedo jidai, « ère de Yedo », désigne la période Tokugawa, marquée par l'existence d'une double capitale, Yedo, celle du shôgun, et Kyoto, celle de l'empereur. La première l'emporte toutefois sur la seconde : en 1612, l'empereur Gô Yôzei intervient dans les affaires ; Ieyasu le fait déposer par la troupe, et le remplace par Gô Mino ô. Le Japon n'a plus, désormais, qu'un « empereur cloîtré ». Mais, si l'empereur ne cause plus de souci au shôgun, il n'en va pas de même du jeune Hideyori. Préparant sa revanche, il fait entasser des armes et des munitions au château d'Osaka. En 1615, les troupes envoyées par Ieyasu s'emparent du château, et le fils de Hideyoshi est tué pendant le combat.

Par rapport à l'Occident, Ieyasu se trouve obligé, à partir de 1603, de définir une politique. Les choses évoluent, dans les premières années du XVIIe siècle, avec l'arrivée de « nouveaux » Européens : les Hollandais et les Espagnols. En avril 1600, un navire battant pavillon des jeunes Provinces-Unies, le De Liefde, « la Charité », touche les côtes du Japon. Son pilote, William Adams, est un Anglais qui s'est séparé de l'expédition au large des côtes du Chili. Avec son second, il réussit à être reçu par les autorités locales, puis par le shôgun lui-même : il lui enseigne les mathématiques, la cartographie et les techniques européennes de construction navale. Will Adams terminera ses jours comme agent commercial de la VOC, la Vereenigde Oostindische Compagnie, ou Compagnie néerlandaise des Indes Orientales, créée en 1602. En ce qui concerne les Espagnols, les premiers à arriver au Japon sont des franciscains de Manille. L'un d'eux, Jérôme de Jésus, est chargé par Ieyasu d'étudier les possibilités d'un traité de commerce, incluant bien sûr des facilités pour les missions. L'accord est négocié en 1608 : le port d'Uraga, dans la baie de Yedo, est ouvert aux Espagnols et les franciscains peuvent s'y établir.

Cet accord semble de nature à favoriser la reprise du dialogue entre le shôgun et les chrétiens ; mais tout change en 1609, lorsque éclate l'affaire du Madre de Deus. L'année précédente, à Macao, l'équipage d'une jonque appartenant à un daimyô chrétien en était venu aux mains avec les hommes du gouverneur de la ville, Andrès Pessoa ; on avait relevé plusieurs morts parmi les marins japonais. Lorsque Pessoa se rend à Nagasaki sur le Madre de Deus en 1609 pour négocier une importante cargaison de soie, le gouverneur de Nagasaki le rend personnellement responsable de l'incident. L'affaire remonte au shôgun, qui ordonne de capturer Pessoa ; celui-ci refuse et cherche à fuir, mais il est intercepté par une trentaine de navires, refuse de se rendre et fait sauter son bâtiment avec la cargaison. Ieyasu est furieux et l'incident du Madre de Deus entraîne l'interruption du commerce régulier entre Macao et Nagasaki ; après 1612, on ne voit pratiquement plus de bateaux portugais, espagnols ou même hollandais dans les eaux du Japon. En revanche, quelques navires anglais touchent Hirado après 1613 ; ils disparaîtront en 1623.

L'affaire du Madre de Deus ne pouvait que compromettre les relations entre le gouvernement japonais et les chrétiens. À ce propos, les difficultés diplomatiques avec les Européens ne sont pas seules en cause. Le bouddhisme, qui n'était pas en faveur sous Nobunaga et Hideyoshi, semble connaître un regain de prestige au début des Tokugawa ; chaque école dispose d'un temple à Yedo, à la condition de s'abstenir de prosélytisme. Mais toutes les écoles bouddhistes se trouvent désormais en état de guerre avec les missionnaires catholiques, accusés d'être des ennemis des kami, du Bouddha et de l'État japonais. Parmi les moines, Suden (1569-1633), représentant du zen, semble avoir été l'un des principaux instigateurs de la persécution anti-chrétienne. Les missionnaires doivent également compter avec l'influence du néo-confucianisme, éthique de lettrés et de samurais valorisant la loyauté et la piété filiale. Ils reprochent aux missionnaires d'avoir abandonné leurs familles et d'encourager au célibat ; l'un d'eux, Hayashi Razan, dont le « nom de plume » est Dôshun (1583-1657) a une longue dispute avec le frère jésuite Fabien Fukan en 1606, pendant laquelle les deux adversaires s'opposent mutuellement le Dieu de l'Ancien Testament et le principe confucianiste de li, désignant la raison ou plus exactement l'ordre cosmique.

Dans l'ensemble, le shôgun Tokugawa Ieyasu reste relativement tolérant. Il souhaite conserver des relations commerciales avec Macao et Manille, et son interprète jésuite, Rodriguez « Tçuzzu », le pousse à reconnaître l'existence officielle des églises de Nagasaki, Kyoto, Osaka, Arima… et même à autoriser de nouvelles constructions, à Yedo, l'actuelle Hokkaido, et Uraga (1608). Il accepte de recevoir en audience l'évêque Luis Cerqueira. En 1607, le Japon compte cent quarante jésuites ; sept prêtres japonais sont ordonnés entre 1604 et 1614. En 1608, Paul V accepte que tous les ordres missionnaires puissent entrer au Japon par la constitution Sedes Apostolicae providentia.

Les années qui vont de 1601 à 1613 voient même une véritable expansion de l'Église. À Nagasaki, siège de l'évêque, la cathédrale de l'Assomption est achevée en 1602 ; quarante mille catholiques et onze églises font de la ville la « petite Rome » du Japon. Arima possède un séminaire et un collège qui compte une quarantaine d'étudiants en 1607. À Kyoto, sept prêtres administrent en moyenne cinq mille baptêmes par an. Dans l'ensemble, les chrétiens japonais sont pauvres : la grande église de Nagasaki, dont la construction s'élève à trois mille cruzados, est financée par la Compagnie de Jésus, qui perd beaucoup d'argent au seuil du XVIIe siècle dans une série de naufrages et de captures de navires par les Hollandais. Le développement du catholicisme au Japon est une réalité, qui explique certains mouvements d'hostilité : en 1604, puis en 1609 à Satsuma, en 1612 également, des persécutions locales font de nombreuses victimes. Mais les difficultés sérieuses ne commencent qu'en janvier 1614, avec l'édit « de persécution » publié sous Hidetada.

L'édit de persécution de 1614

L'édit de 1614 n'a pas d'autre but que la suppression pure et simple du catholicisme. Sa publication n'a pas véritablement surpris les plus avertis des missionnaires : dans une lettre de 1612 au Vice-Roi du Mexique, Ieyasu expliquait déjà qu'il souhaitait un développement des relations commerciales, mais estimait préférable l'arrêt de la prédication du catholicisme, jugé incompatible avec les traditions japonaises. L'édit du 27 janvier 1614 est promulgué sous le nom de Hidetada, successeur de Ieyasu. En fait, il a été rédigé par Suden, un moine zen, et révèle une idéologie syncrétique, mélangeant des idées bouddhistes, confucianistes et shintô. Le Japon y est présenté comme la terre du Bouddha ; les chrétiens y importent de mauvaises lois et, en particulier, révèrent les condamnés. Ils constituent donc un danger pour l'État : les daimyos locaux doivent renvoyer tous les missionnaires sur Nagasaki, puis de là vers Macao ; les chrétiens japonais doivent abjurer et retourner aux religions nationales. Ce texte en quinze articles est apposé dans tous les temples, qui donnent à leurs adeptes des certificats prouvant qu'ils ne sont pas chrétiens. Au cours de l'année 1614, les missionnaires sont effectivement rassemblés à Nagasaki, et embarqués en novembre sur le navire portugais de Macao, qui emmène soixante-deux jésuites, ainsi que sur plusieurs jonques. À la fin de l'année, trente-sept religieux – dix-huit jésuites, sept dominicains et sept franciscains – restent cachés dans les différentes provinces du Japon afin d'assister les communautés chrétiennes. Les églises sont détruites, à Kyoto, Arima puis Nagasaki ; des listes de chrétiens sont dressées, et cinquante d'entre eux sont condamnés aux travaux forcés tandis qu'à Arima, en novembre, vingt autres sont décapités. L'existence de missionnaires clandestins entraîne un second décret antichrétien, en septembre 1616, après la publication publique du dominicain Navarette et de l'augustin Ayala à Omura. Les deux hommes sont décapités en 1617, après quoi les années suivantes comptent de plus en plus de martyrs : soixante-huit en 1618, quatre-vingt-dix en 1619, cent vingt en 1622… C'est le 10 septembre 1622 qu'a lieu le « Grand martyre de Nagasaki », après l'arrestation de Pedro de Zuniga et Luis Flores à Nagasaki. Deux jésuites, cinq dominicains, deux franciscains et trente-trois chrétiens sont crucifiés. Diverses représentations du martyre feront le tour de la chrétienté.

En 1623, Hidetada se retire au profit de son fils Iemitsu. Cet autocrate devait être le plus impitoyable des Tokugawa : il ferme le pays de manière presque complète et soumet les chrétiens à la répression la plus farouche. Les martyres se succèdent : à Yedo, en 1623, deux missionnaires et quarante-huit chrétiens sont brûlés ; en 1624 ont lieu des exécutions massives, qui font deux cents victimes ; les chrétiens sont systématiquement privés de leur emploi ou de leurs biens. Le daimyo d'Arima entreprend une campagne d'extermination et met au point de nouveaux types de tortures : scie de bambou, mutilations, pendaison par les pieds, envoi dans les sources sulfureuses du Mont Unzen, sur la péninsule de Shimabara. Dépouillés de leurs vêtements, les malheureux prisonniers sont plongés dans les sources brûlantes, puis soignés afin de pouvoir réitérer l'opération. En 1629, soixante-quatre chrétiens, traités de la sorte pendant plusieurs jours, finissent par apostasier. De 1627 à 1634, ce sont mille deux cents chrétiens qui meurent de cette façon dans l'ensemble du Japon.

Une des conséquences de ces brutalités a été la rébellion de Shimabara, de décembre 1637 à avril 1638. Le poids des taxes réclamées par les daimyos de Shimabara et Amakusa semble avoir joué un rôle important dans l'insurrection de la péninsule de Shimabara, dont la population est en majorité chrétienne. Après la défaite d'un premier corps expéditionnaire, les insurgés s'emparent d'Arima puis du château de Shimabara, dominant la falaise. Là s'entassent vingt mille hommes et presque autant de femmes et d'enfants. Une armée de trente mille hommes, venue de Kyûshû, commence le blocus afin d'affamer le château. Le massacre des survivants est général : on compte treize mille cadavres. Au total, Shimabara aurait fait trente-sept mille victimes. Une polémique, en outre, oppose les religieux catholiques au monde protestant car le chef de la factorerie hollandaise, Koeckebacker, aurait aidé les troupes des Tokugawa en tirant au canon sur la forteresse depuis son bateau…

De toutes façons, l'Église japonaise est désormais décapitée : en 1638, cinq religieux jésuites et franciscains restent cachés au Japon : ils sont arrêtés et torturés à Yedo l'année suivante. La fermeture du pays est pratiquement intégrale entre 1639 et 1854. La fermeture commence sous Hidetada, avec un décret du 1er octobre 1616 ordonnant aux différents daimyos d'envoyer tous les navires étrangers abordant au Japon sur Nagasaki ou Hirado ; le Bakufu peut contrôler ainsi les étrangers et les missionnaires. Cette mesure n'empêche pas certains religieux de venir clandestinement de Manille et Macao. La capture de Zuniga et Luis Flores amène le shôgun à suspendre toutes relations avec Manille. Arrivé au pouvoir, Iemitsu n'hésite pas à sacrifier la marine marchande : entre 1633 et 1636, une série de décrets prohibe la construction des navires de gros tonnage ; une autorisation du Bakufu est nécessaire pour quitter les eaux de l'archipel, et les Japonais installés à l'étranger, en Asie du Sud-Est surtout, ne peuvent plus revenir dans leur patrie. A partir du 7 décembre 1635, plus aucun vaisseau japonais ne peut partir pour l'étranger, et trois cents métis luso-japonais sont expulsés vers Macao. Dès 1634 a commencé la construction de l'îlot artificiel de Deshima, en baie de Nagasaki : les marchands portugais y sont confinés et leurs navires déchargent les cargaisons sur ce terre-plein relié par un pont à la ville. La rébellion de Shimabara provoque la rupture complète : au cours de l'été 1639, un nouveau décret proclame l'arrêt du commerce avec Macao et le bannissement de tous les Portugais, rendus responsables de Shimabara. Macao, intéressée au commerce avec Nagasaki, envoie en 1640 une ambassade afin de négocier la réouverture du commerce. Les quatre envoyés et cinquante-sept hommes d'équipage sont arrêtés et décapités le 3 août ; le Bakufu laisse treize survivants porter la nouvelle à Macao. Pour maintenir un lien avec le monde extérieur, Iemitsu laisse subsister le commerce néerlandais, à condition que les marins de la VOC quittent Hirado pour Deshima. La puissante compagnie envoie un navire annuel pendant deux siècles, sans faire aucun prosélytisme et sous d'humiliantes conditions de surveillance ; ils sont les seuls étrangers autorisés à toucher le Japon avec quelques marchands chinois. Les uns comme les autres ne restent que le temps nécessaire à décharger et remettre les navires en ordre, et doivent repartir à date fixe, quel que soit le temps.

Cette politique de fermeture va de pair avec la mise en place d'une police secrète destinée à traquer les chrétiens, mise en place à Yedo en 1640 sur ordre du shôgun. Ses services restent actifs jusqu'en 1792 sous la direction d'un commissaire, le Kirishitan bugyô. Inouye Masashige, le premier titulaire, est un apostat devenu persécuteur ; à partir de 1643, son manoir de Yedo est transformé en prison. Inouye consacre son existence à rechercher les chrétiens clandestins : il sait que seul un petit nombre s'est réfugié à l'étranger, essentiellement au Siam et en Cochinchine. Pour venir à bout de ceux qui restent au Japon, il met en place tout un système de contrôle et de dénonciation. Des récompenses sont accordées à ceux qui permettent d'arrêter les chrétiens, plus importantes lorsqu'il s'agit de missionnaires ; les avis sont gravés sur des planchettes et placés dans les temples. Des primes spéciales sont données pour la capture d'apostats revenus au christianisme. Le Gonin gumi permet de placer les villageois ou les membres des corporations sous l'autorité d'un responsable, garant de l'appartenance religieuse de chacun. Si un chrétien n'est pas dénoncé, le kumi reçoit un châtiment collectif. Enfin, la cérémonie E-Fumi oblige à cracher sur le crucifix ou une peinture représentant le Christ ou la Vierge. À Nagasaki, les officiels doivent fouler aux pieds cette peinture, de même que les marins hollandais qui empruntent le pont de Deshima pour faire une sortie dans Nagasaki ; cette marque symbolique de mépris était considérée comme une preuve d'apostasie. Elle ne sera abolie qu'en 1857, par le traité signé avec les Pays-Bas. Enfin, en 1687, le Bakufu promulgue un décret de « recherche des familles chrétiennes » : il permet la surveillance des parents d'un apostat jusqu'à la septième génération. Tout cela a plus pour but de donner l'horreur de la religion chrétienne que de pourchasser effectivement des communautés réduites à peu de chose.

Inouye Masashige a donné des listes de chrétiens retrouvés, avec les noms et les sentences. Il peut paraître étonnant qu'il ait réussi à en retrouver deux mille, dans soixante-huit provinces sur soixante-seize, y compris dans celle du centre et du nord. En 1658 par exemple, six cent huit chrétiens sont arrêtés près d'Omura ; quatre cent onze seront exécutés.

Quelques missionnaires réussissent à pénétrer dans ce pays fermé, souvent au mépris des interdictions de leur ordre. Comme Macao n'envoie plus aucun navire, il faut passer par les Philippines : cinq jésuites – Rubino, Morales, Capece, Meczinski, Marquez – quittent Manille en 1642 pour arriver en baie de Setsuma, déguisés en Chinois. Vite repérés, ils sont torturés à Nagasaki. Quatre autres essaient de recommencer cette opération en 1643, sur une jonque et costumés en samurai. Torturés à Yedo, ils apostasient, sont obligés de se marier ou d'entrer dans des écoles bouddhistes, et restent en prison. Enfin, le prêtre sicilien Jean-Baptiste Sidotti, qui avait accompagné en Chine le légat Maillard de Tournon, quitte Manille en 1708 pour débarquer de nuit près de Yakoshima. Envoyé à Yedo, il est interrogé par le lettré confucianiste Arai Hakuseki. Il n'est pas torturé, et l'interrogateur estime que le mieux serait de le renvoyer. Le Bakufu le garde toutefois en prison à Yedo, et Sidotti réussit à conférer le baptême au vieux couple qui fait office de geôliers. Jeté dans un cachot souterrain, il finit par y mourir d'asphyxie en 1715.

Appauvrissement culturel et intellectuel

Cette période de fermeture correspond à un temps d'appauvrissement sur le plan culturel. Au début du XVIIe siècle, l'influence chrétienne sur les arts et la civilisation commençait à devenir importante : pensons par exemple aux paravents mettant en scène les Portugais et leurs navires, le développement d'une cartographie et de vues cavalières inspirées de l'Orbis terrarum d'Ortelius. Les décorations de bannières, de sabres, les lanternes de pierre des jardins portent souvent la marque d'une influence chrétienne. À partir de Tokugawa Iemitsu (1622-1651) sévit une véritable réaction en matière culturelle. Les livres sortis de l'ancienne imprimerie jésuite sont systématiquement détruits ; à partir de 1630, les livres composés en chinois par des missionnaires jésuites de Chine : Matteo Ricci, Alfonso Vagnone, Manuel Dias, Adam Schall… sont interdits sur le sol japonais. Comme certains lettrés continuent à les lire, un décret de 1658 précise que quiconque importera ces ouvrage sera mis à mort. Le confucianiste Hayashi Shunjo réalise une liste de trente-quatre livres jésuites prohibés. À Nagasaki, des inspecteurs brûlent ou barbouillent d'encre noire les ouvrages saisis, parmi lesquels se trouvent des textes sans aucun rapport avec le prosélytisme chrétien : des traités de sciences européennes, ou la traduction chinoise d'Aristote par le P. Furtado. La « chasse aux livres » complète et parfois même remplace la chasse aux chrétiens pendant les ères Jôkyô (1684-1688) et Genroku (1688-1703). Le résultat en est un appauvrissement intellectuel de plus en plus net : le Japon manque de livres, en particulier concernant les sciences occidentales. Curieusement, ces dernières pénètrent au Japon grâce aux vaisseaux de la VOC : c'est la « science hollandaise », Rangaku, expression composée à partir du nom de la Hollande (Oranda). Des ouvrages de science et de technologie, le plus souvent composés par des auteurs allemands ou néerlandais, pénètrent de manière clandestine à Nagasaki à la fin du XVIIe siècle. Au XVIIIe siècle, les autorités tolèrent ces ouvrages, à condition bien sûr que tout prosélytisme en soit absent. Dans la première moitié du XVIIIe siècle, le regain d'intérêt pour l'Occident correspond au shôgunat de Yoshimune : Yedo reçoit alors quelques montres, des télescopes et des bouteilles de Leyde ; en 1745, Aoki Bunzo compose un dictionnaire néerlandais-japonais, mais à l'usage exclusif du gouvernement.

Il n'en est pas moins vrai qu'une réelle ouverture a lieu sous le huitième shôgun, Tokugawa Yoshimune (1716-1745) : conscient du retard accumulé, en particulier par rapport à la Chine, il demande la révision du calendrier. Dans ce domaine, Kangxi des Qing avait commandé cette importante modification aux jésuites ; c'est pourquoi l'un des conseillers du shôgun, Nakane Jôuemon, le persuade d'autoriser l'importation des livres composés en chinois par les jésuites. Yoshimune accepte : en 1719, onze traductions d'ouvrages européens de géométrie, mathématiques et astronomie, dont celles de Ricci et Sabbatino de Ursis, pénètrent au Japon. En ce qui concerne leurs traités sur la religion, l'importation ne deviendra possible qu'en 1873 ; en attendant, ce sont toujours les ouvrages anti-chrétiens qui ont la faveur du gouvernement : parmi les plus importantes réfutations du christianisme, il faut signaler Ha Deus, traité contre la religion de Dieu composé en 1620 par l'apostat Fabien Fukan. Il s'agit d'un exposé très clair de la doctrine chrétienne, mais mise en parallèle avec le bouddhisme et le confucianisme. Cette sorte d'étude comparatiste aboutit à la conclusion que le Japon est la terre du Bouddha et des kami. En ce qui concerne Dieu, il n'est nullement tout-puissant : la preuve en est que tous les jours des chrétiens perdent la vie sans qu'il les aide. Par ailleurs, il a attendu cinq mille ans avant d'envoyer un Rédempteur, ce qui est incompréhensible. Enfin, les textes bibliques, avec la chute des anges et l'interdiction de manger la pomme, sont ridicules.

Il est certain que les plus violentes accusations contre le christianisme proviennent d'apostats. Les ouvrages anti-chrétiens composés par des bouddhistes ou des confucianistes restent assez rares ; il faut signaler toutefois Ha Kirishitan, composé par le moine zen Suzuki Shôsan et publié en 1662. L'ouvrage exalte le panthéisme et la multiplicité des âmes, contre le monothéisme et l'idée d'âme unique.

La fermeture du pays et la sclérose générale des institutions dépassent largement le cadre du christianisme. Sous Yoshimune, le code militaire bushidô a évolué vers un système de règles morales mêlant le respect de la hiérarchie, la politesse, la discipline du zen et les vertus civiques du confucianisme. Toutefois, même le confucianisme peut receler des dangers pour le gouvernement du shôgun, car sa logique exige la restauration du prestige impérial que les Tokugawa ont occulté. Par ailleurs, la situation économique devient préoccupante : le recensement de 1726 fait apparaître une population importante, de vingt-six à trente millions d'habitants, vivant pauvrement sur un archipel qui ne dispose que de rares et étroites plaines cultivables. Les impôts et l'endettement laissent les paysans sans ressources : les famines à partir de 1720, les révoltes ou ikki à partir de 1750, le développement de l'infanticide qu'interdisent plusieurs décrets en 1767 ruinent la population paysanne. Ces difficultés amènent de nombreux Japonais à mettre en cause la politique d'isolement, à laquelle s'accroche le Bakufu.

Au début du XIXe siècle, de nombreux chefs de clans souhaitent la restauration de l'autorité impériale et l'abandon du système dualiste, empereur cloîtré et shôgun, qui caractérise le régime des Tokugawa et qui maintient le Japon à l'écart du développement scientifique et technologique. À partir de 1825, ce courant favorable à l'ouverture se trouve soutenu par la pression des puissances occidentales qui réclament l'aide aux navires naufragés, des dépôts de combustible dans les ports japonais et la possibilité pour leurs nationaux, commerçants ou missionnaires, d'exercer librement leurs activités dans l'archipel. En 1853, le « commodore » Perry oblige le gouvernement shôgunal à accepter une convention au sujet des naufragés ; en 1856, l'envoyé américain Townsend Harris obtient la signature d'une série de traités ouvrant progressivement le Japon aux relations politiques, culturelles et commerciales avec le Japon. Cela signifie l'autorisation pour les Japonais de professer le christianisme : mais cette liberté n'est effective qu'après une campagne xénophobe, entre 1859 et 1862, provoquant les représailles militaires des Occidentaux. Face aux marines anglaises et américaines, l'impuissance du régime des Tokugawa apparaît évidente et amène Yoshinobu, le dernier shôgun, à remettre le 9 novembre 1867 tous ses pouvoirs à Mutsu Hito, l'empereur Meiji, alors âgé de quinze ans.

Source de cet article : clio.fr, le site pour découvrir le monde et ses cultures.

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